Le vieux encagé

 

           Certes, il est de bon ton en cette période d’écrire des douceurs, des encouragements, des remerciements, pourtant la réalité du quotidien n’est pas en sucre et plus les jours passent plus la difficulté psychologique de la vie de confiné ordinaire prend le pas sur la bonne volonté et le désir de respecter des règles qui peuvent apparaître dans ces prolongations à rallonges, au moins à mes yeux individualistes, excessives et illogiques. Alors, voilà quelques remarques disparates. Une fausse note dans la partition actuelle de ce qu’il est de bon ton d’écrire et de dire. Une toute petite fissure insignifiante dans la ligne Maginot anti covid-19 ?

  • Moi l’écrivaillon, je n’avais pas écrit une ligne depuis le début de la pandémie. Une forme de sidération devant laquelle je me suis hâté de me déborder d’activités pour garder le sentiment égoïste d’exister, mais, telle la mouche dans un bocal, je m’asphyxie peu à peu avec l’angoisse de tomber au fond et d’y rester. Ces lignes sont-elles un début de guérison ? Retour d’oxygène ou simple écoulement de pus ?
  • Faut-il être emprisonné pour reconnaître le goût de la liberté ? Je râle de même pas pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle le 11 mai prochain pour raison d’être septuagénaire. Certes les vins de grands crus, arrivés à un certain âge, doivent être ouverts avec beaucoup de précautions et voilà qui devrait justifier à mes yeux la prudence gouvernementale à mon égard ! Mais non, je râle.
  • Si la vie est née de bactéries, ses cousines pourraient tout aussi bien la faire disparaître. Plus proprement que la radiation atomique bien qu’un peu plus lentement.

 

  • Mon indispensable agenda google est devenu un ridicule gadget oublié dans les bas-fonds de mon moderne smartphone, quant à lui retourné à sa destination première et un peu oubliée d’un simple et banal téléphone.

 

  • À son propos, plus d’appels intempestifs de démarcheurs et mes amis sont toujours disponibles quand je les appelle, plus de stupides répondeurs et leur désagréable anonymat. D’un autre côté, je ne peux plus inventer un hypothétique rendez-vous pour me défaire d’une conversation ! Les avantages l’emportent cependant largement.

 

  • Concernant lesdits amis, certains ont retrouvé mon adresse mail ou mon téléphone alors que nous nous étions oubliés depuis des lustres. Nos entretiens ressemblent aux souvenirs évoqués à la réception d’un faire-part de décès.

 

  • Le silence d’une solitude voulue m’est indispensable et me nourrit, imposée elle me stérilise.

 

  • Au-delà de l’immobilité contrainte, l’appel du soleil, des oiseaux, de la mer, bref de l’été est un supplice de tantale. La fenêtre d’une prison doit représenter à la fois une nécessité vitale et la tentation irrésistible de l’évasion.

 

  • La solitude à deux nécessite beaucoup d’attention à l’autre, lequel représente votre raison principale de résister à la désespérance.

 

  • Il paraîtrait que la terre se venge. Vengeance n’est pas justice et nous avons fait aussi de belles choses avec elle. Oublierait-elle qu’elle-même est appelée à disparaître un jour dans un trou noir ?

 

  • Peu à peu je me défais d’un rituel inutile au profit d’un rythme plus biologique. Je n’ai ainsi plus besoin de réveil le matin et il m’arrive de délaisser ma montre de la journée sans même m’en apercevoir. Plus besoin non plus d’appareiller mes oreilles, n’ayant personne à écouter ! Est-ce mieux vivre ou déjà mourir un peu ?

 

  • Je fais l’effort des soins corporels quotidiens et de m’habiller correctement. Y arriverais-je encore si je vivais seul ?

 

  • Quand l’annonce fut faite d’une date de sortie du confinement pour les autres et repoussée à un lointain indéterminé pour moi le vieux, je l’ai instantanément très mal vécu. Une confiscation de l’espoir en supprimant la possibilité de décompte avant ma libération, créant un vertige du vide, effaçant mon horizon. Peut-on survivre sans horizon ?

 

  • Les décideurs de mon pays, en m’emprisonnant pour me préserver de ce maudit virus, détruisent ma santé par une accélération de mon vieillissement. Ils m’ont mis en cage et me rognent ma vie. Je sais que comparativement à beaucoup d’autres, notamment malades et soignants, je ne suis pas à plaindre ; je sais qu’ils le font pour mon bien et que je devrais leur dire merci. Je sais. Pourtant je ne le dis plus.

 

  • J’ai 77 ans et déjà 1 mois de confinement. 1 mois d’une longueur d’éternité. Un confinement inertiel qui devrait conduire l’Etat à me rajouter des jours de vie au bout ce ceux que ce virus me vole. Pourtant le ministre de la Santé n’en parle pas ! Un autre scandale sanitaire à venir ?

 

  • « La distanciation sociale ». Quelle affreuse expression ! Se détacher des autres. Tout le contraire de la vie. Une mort lente de l’humanitude. En fin de compte, par manque de « bravitude » , je ne vais peut-être pas regretter mon âge !

 

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3 réflexions sur “Le vieux encagé”

  1. Le mouton arzonnais
    Le berger nous a dit de ne pas sortir de la bergerie car le loup rôde. Pourtant de mémoire de mouton a-t-on jamais vu loup hanter les sentiers du Golfe ou la plage de Kervert ? Mais j'ai confiance en mon berger car il me tond régulièrement et me dit toujours que je suis né pour régaler les hommes.

  2. L’autiste pétillante oubliée

    Au-delà de l’esprit, quand les turpitudes assaillent au point que la présence a battu en retraite,
    Quand d’un univers familier, celui-ci a basculé d’un coup, jour après jour, à s’enfoncer toujours plus dans un autre où l’on a perdu ses repères, inconnu et effrayant celui-ci, qui sans s’en rendre compte, a pris place, créant un gouffre où l’on cherche quand, comment, où, est passé celui qu’on a laissé … Que s’est-il passé, comment a-t-on fait pour décrocher … ?
    Un jour j’étais là, et puis ensuite je me souviens être malade chez moi, être coupée de tout, même de la présence d’un médecin, difficile de concevoir le si peu d’humanité spontanée …
    Puis fur et à mesure je me suis rétablie, mais j’en ai plongée sur internet … Plongée agréable des débuts, puis de plus en plus absorbante … j’en ai perdu pieds … Absences de toutes les auxiliaires de vie, plus de quotidien … plus d’environnemental, plus de sorties …
    J’étais là un jour, et puis huit mois après je ne sais plus où je suis ….

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