Dehors le ciel n’obéit qu’à lui seul et le vent est partout ; sur la mer, échouée comme nous tous, un arbre, je le regarde en frère, je voudrais savoir d’où il vient, si c’est d’Alger, ou de Tadoussac, si c’est du Frioul tout proche, mais tous les lieux se fondent dans l’arbre qui fait violence à toute idée d’origine et de pureté, de race, qui fait violence à tout ce qui sous le soleil n’est pas poursuite du vent, l’arbre sans racine ni branche tendue vers aucun nuage, je le regarde et je m’éloigne quand la respiration des vagues l’a épuisé, et qu’il m’a transmis son secret, que je ne dirai pas, pas ici.
Pas un jour ces jours où je ne pense pas à renoncer (mais je ne sais pas à quoi : alors je pense : à tout), et cela commence par ces pages : se dire que cela ne rime à rien de tenir un journal où l’on passe tant de jours, où l’on ne raconte rien du jour que ce qu’il reste (rien), non, mais je ne crois plus en la rime depuis au moins Verlaine, et mes pensées vers Verlaine ricochent vers les Batignolles où une main va frapper à sa porte, il dira entre, je t’attends, et tous deux saccageront la rime, je pense à cela, quand je pense aux jours et à leur écriture ici qui ne rime à rien, et cela console, un peu, d’être désespéré.
Ce onze novembre ne doit appartenir qu’à Craonne ; je chante intérieurement la chanson, ce matin, sur les coups de onze heures ; on est aussi issus de cette boue, de cette guerre pour rien, on est de ce côté du siècle pour cela — enfant, il nous arrivait de croiser un vieillard qui, jeune homme, avait vu cela, qui est inimaginable ; ils sont tous morts ; et nous ? — l’arbre sur la plage n’était pas au bout de son voyage, peut-être était-il parti pour faire la conquête du Nouveau Monde, et je pense à lui désormais comme un esprit wendat songe au cadavre vainqueur de Champlain : en le plaignant.
Arnaud Maïsetti |
Photo fournie par l’auteur