Pourquoi cet étrange besoin d’écrire ?
C’est, pour moi, une autre façon de partir en mer. À l’instant où je me mets devant ma feuille ou mon clavier (selon l’urgence), j’oublie à la fois le monde, ses vacarmes et turbulences, et ce mec banal levé à l’heure des poules (ou au chant du coq si vous préférez, bien qu’il y ait longtemps que je ne l’ai entendu !). Mon passé, lointain et proche, s’effaçant d’un coup, me voilà transformé en alchimiste, pour un présent paranormal et jubilatoire. Tout devient concevable, même l’inconcevable, surtout l’inconcevable, dont je vais découvrir moi-même le secret en le racontant. Oui, dérive intime et irremplaçable par tout autre artifice, je quitte la banalité du quotidien, je pars à la quête mystérieuse et fantasmagorique d’une planète inconnue, je me shoote à l’écriture ! Sans doute un reste de mon âme d’enfant qui aimait écouter les contes de fées et adorait déjà – et plus encore – en inventer. Il était une fois…
Écrire, c’est aussi se libérer de l’attraction du temps, celle des jours, des heures et des minutes, pour se retrouver dans la nébuleuse extragalactique de l’éternité. La mort osera-t-elle venir me chercher avant que j’aie posé le mot « fin » à mon dernier récit (1) et s’acoquiner ainsi avec la censure? Même en détestant mon texte, ce dont je lui reconnais bien le droit comme à tout autre lecteur, elle aura la délicatesse (pour ne pas dire le savoir-vivre, il ne faut tout de même pas la provoquer !) d’attendre le lendemain. Je lui en témoignerai ma gratitude en acceptant de lui signer une dédicace … si elle me la demande: il faut savoir être modeste, particulièrement en un tel moment !
Oh! Si l’activité d’écrire est orgasmique, elle n’est pas pour autant de tout repos ! Elle demande d’accepter de se mettre en danger dans un étrange et masochiste défi à soi-même. À chaque fois, je quitte le port avec l’incertitude d’arriver à destination, ignorant si longtemps ses coordonnées qu’il m’arrive de me perdre en chemin ! Un jour, peut-être, n’en reviendrai-je d’ailleurs pas ! Ma femme ouvrira la porte de mon bureau et je n’y serai plus. Définitivement, irréversiblement. Son mari aura disparu. (Certains auteurs ont déjà romancé sur ce sujet et comme la réalité dépasse souvent la fiction…qui sait ?)
J’entendais récemment un auteur sérieux (c’est à dire de notoriété, pas un écrivaillon comme moi) affirmer sur une radio tout aussi sérieuse qu’écrire c’est « donner ». Je n’en suis humblement pas convaincu. Quand on donne, c’est dans l’espoir, conscient ou pas, d’obtenir quelque chose en retour, ne serait-ce que l’estime (des autres ou de soi-même) ; hors, je ne connaîtrai jamais ceux qui, éventuellement, feuillèteront l’un de mes ouvrages ! Certes, il est indéniable que le livre constitue une forme de communication, prenant même pour certains la forme d’une bouteille à la mer. Et je ne nie pas que ma prose et mes vers ont été, à quelques moments de mon existence, un remède, un tranquillisant, un déversoir filtrant, voire un exorcisme. Cependant, je crois m’être guéri de cette déviance de la plume … au moins temporairement !
Si j’aime raconter des histoires, et plus encore faire ressentir des émotions, dans le temps de l’écriture se niche d’abord ma recherche d’un indispensable et vital isolement et son autojustification, quand bien même serait-elle, mais exceptionnellement alors !, un alibi. En voilà un aveu ! S’il vous plaît, ne le répétez surtout pas !
Ce retrait, quasiment monastique, me permet de m’installer dans la bulle de mon imaginaire, un lieu connu uniquement de moi-même (et encore !) dans lequel je deviens le Christophe Colomb de mon scénario. L’écran de mon ordinateur se transforme alors en lucarne par laquelle le condamné à mort rêve de s’échapper ; destin hier chimérique pourtant devenu ce matin possible par la seule décision arbitraire de mon esprit, impitoyable ou compatissant, selon.
Ultime argument, sans prétendre avoir fait le tour de la question ce dont je me moque éperdument : si le vent de l’instant efface la parole comme la trace du pas dans le désert, l’écrit constitue une victoire essentielle sur la quatrième dimension en résistant à son immédiateté. Je peux ainsi prendre tout mon loisir pour découvrir, sélectionner et dominer mes mots, les plier à mon rythme et à ma résonance. (…enfin je m’y efforce !). Je suis en fait un artisan des noms, dits communs ou propres, des verbes, transitifs ou intransitifs, des adjectifs, épithètes ou attributs, des compléments, directs ou indirects, sans parler des ponctuations qui les accompagnent comme les enfants portant le voile de la mariée : points, virgules, points-virgules, points de suspension ou d’interrogation, deux points et je salue ici celui de l’exclamation ! Oui je me plais en leur compagnie, même s’il leur arrive de se montrer, individuellement ou, pire encore, collectivement, indociles et même, à la publication, infidèles.
L’écriture est ma liberté. Ce n’est pas rien ! Me lire ou pas reste la vôtre.
1: Cette idée de la mort ne pouvant intervenir pendant la narration du conteur est le fondement de « Zabor » de Kamel Daoud chez Actes Sud. Un livre-fable superbe !
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