culpabilité

Mon père m’a rendu  visite. Il y avait si longtemps, si longtemps que nous ne nous étions pas vus. Une éternité. J’étais très ému et je l’ai serré très fort dans mes bras en retenant mes larmes. D’une trop grande pudeur de ses sentiments, il ne les aurait pas aimé.  « J’ai tant de choses à te dire, tant de choses que j’aurais voulu te dire avant ton départ. » lui ai-je murmuré, le cœur battant la chamade. Et puis, désireux de lui faire plaisir et en souvenir de notre cérémonial  du petit gâteau dominical , je l’ai planté là quelques instants pour me rendre à la pâtisserie toute proche. Hélas, elle était fermée, ce dont j’aurais dû me douter vu l’heure.

C’était stupide de ma part. Doublement stupide : mon père me rendait visite et je commençais par m’en aller, qui plus est pour rien. Quel idiot je faisais ! J’étais furieux après moi-même et qu’allait-il penser de son fils, de celui-là ? Sans doute que je n’avais décidément pas changé malgré les années ! Je me suis mis à courir pour rentrer en décidant de prendre un raccourci, un chemin en terre dont je ne savais même pas l’existence. La nuit était  tombée ; très rapidement je ne savais plus où j’étais ; je m’étais perdu. Je me retrouvai maintenant au bord d’un canal et personne pour me venir en aide.

Je me réveille. Encore plus contrarié de l’être qu’oppressé. Que venait me dire mon père ? Ce rêve était-il prémonitoire ? De quoi ? Moi l’agnostique convaincu, me voilà troublé.

Quand il est décédé, d’une longue maladie à l’époque innommable, je dormais paisiblement dans ma chambre de l’autre côté de la cloison, adolescent que ma mère voulait, comme elle l’a fait à l’infini, protéger. Nul besoin de consulter un psy pour comprendre le ferment de ce rêve. Puisqu’il avait tenu à mourir chez lui, j’ai toujours été persuadé qu’il aurait souhaité être entouré de ses enfants  (trois et aucun près de son lit ) et, plus irrationnellement de ma part, qu’il m’aurait laissé alors un message. Un conseil ? Un encouragement ? Un mot d’affection ? En réalité, je sais bien aujourd’hui que c’est moi qui aurais voulu lui dire tout simplement que je l’aimais. Un verbe que je ne savais pas à l’époque conjuguer. L’aurais-je fait ?

Un acte définitivement manqué et une culpabilité irréparable.

Pierre BUSSIERE

article précédent : « Les mouettes »

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3 réflexions sur “culpabilité”

  1. Pierre
    Quelle émotion en vous lisant.
    Je connais, hélas, cet état d’âme, après deux décès…
    Ma joie de vivre fait que j’arrive à surmonter ce mal insidieux et dévorant.
    Mais vous l’écrivez tellement bien.
    Jacqueline

  2. Bonjour Pierre, J’espère que tu vas bien ! Toujours cette belle écriture, sobre et limpide, un brin classique, qui me rappelle dans une autre vie un certain Delphinium… Le thème est crucial, la preuve, il m’a attiré presque malgré moi ! Le lien avec le père, si puissant, toujours.
    Toutefois «  il ne les aurait pas aimé (es) » (2e ligne) n’évoque t-il pas les larmes, d’où l’accord grammatical ?
    Par ailleurs, ce rêve ne serait-il pas plus fort, si de rêve il n’était pas question ?! De «  je me réveille » à « troublé » ? Histoire de jouer davantage sur l’ambiguïté de l’expérience.
    D’ailleurs sait-on vraiment, s’il n’y a pas une réelle présente spirituelle lors d’un rêve, si on est pas réellement visité par un esprit, une entité…

    Sinon, une ancienne participante des ateliers de Coq à l’âne est venue me « chercher » cet été, jugeant sans doute qu’une pause de neuf ans était grandement suffisante. Il était temps pour moi d’animer à nouveau un atelier d’écriture !!!

    Cordialement.

    Martine

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