» Je ne peux rien pour vous. Il s’agit d’un parasite qui partira tout seul, dans quelques semaines ou quelques mois », m’a dit mon médecin. Je le connais bien ce parasite, je l’ai déjà chopé il y a deux ans. Je sais de quoi il s’agit. Un pycnogonide. Je vous épate, non? Bon, en fait, j’ai tout simplement une araignée dans le plafond ! Et oui, que voulez-vous ?
Pour l’instant elle est petite, discrète, me laisse à peu près tranquille. N’empêche qu’elle commence déjà à me grignoter la tête. Je devine ses pattes quand elle se promène dans mon cerveau. Tantôt elle se niche dans le lobe frontal, celui du raisonnement, tantôt le lobe temporal, de l’émotion.
Je peux vous la décrire. Elle a des yeux rouges globuleux avec une centaine de facettes indépendantes qui me regardent, me scrutent, me fouillent, pire, se moquent de moi. Oh! pas besoin du médecin pour diagnostiquer quand elle s’est immiscée: précisément la dernière fois que je suis revenu de la poste. Sûr qu’elle m’attendait dans mon bureau.
Je la contrôle encore à peu près. Je me suis mis avec ardeur à un nouveau projet d’écriture qui m’occupe bien l’esprit. Tout de même, dès que je m’arrête, hop! un petit coup de pinces. Pour l’instant ce n’est pas bien douloureux; seulement cette sale bête va grossir de semaine en semaine et me faire de plus en plus souffrir. Ce n’est pas seulement une araignée, c’est une araignée de mer , l’orange avec des taches blanches et de très grandes pattes. Une espèce asiatique, particulièrement agressive, résistante et vigoureuse.
Vous allez encore me dire que je suis hypocondriaque ! N’empêche que me voilà, pour des semaines et des semaines, avec un crustacé bien réel dans la tête. L’araignée de l’attente. L’attente, vous connaissez ? Le temps de l’espérance, de l’impatience, de la déception, du doute, de la conviction, de la mauvaise certitude, de la chance, du présage, du mauvais présage, de l’espérance, de l’ impatience, de la déception, du doute …
J’ai envoyé mon manuscrit à quelques éditeurs la semaine dernière et il est totalement inutile d’espérer des réponses, surtout positives, avant plusieurs mois. Alors, il faut être raisonnable, l’écrivaillon ! Tais toi la moussette ! (Son autre nom… j’en connais un rayon à son sujet, maintenant.) Reste tranquille. Fous moi la paix. Tu vois bien que j’écris et que je suis occupé !
A cette heure, le facteur est passé. Je vais aller à la boîte aux lettres. Peut-être que…
Ne rigole pas, l’araignée. A la fin du fin c’est moi qui te mangerai, sale bestiole. Je te ferai cuire au court- bouillon. Oh! oui, avec un plaisir sadique !
ps: J’avais précédemment placé un crabe dans ma petite tête, oubliant que cet animal symbolisait une bien sale maladie. Mille excuses à mes amis qui se sont inquiétés pour rien. Ah! L’ambiguïté des mots ! D’ailleurs « l’araignée dans le plafond »… c’est beaucoup plus véridique, n’est-ce pas ?