L’erreur (scène 2).

Devenez coach littéraire d’un livre ! Participez à une expérience unique et collective. Chapitre par chapitre, j’ai commencé à publier ici un roman  et le modifierai  au fur et à mesure en tenant compte de vos avis qu’ils soient de détail ou d’ensemble, de forme ou de fond. Vous pourrez également lire les commentaires des autres participants et ainsi les comparer à votre propre ressenti. Mais attention, les prochaines scènes seront réservées exclusivement aux fidèles abonnés. Alors si le cœur vous  dit d’en être, vous pouvez déjà lire et commenter les 2 premières scènes et pour poursuivre l’aventure, abonnez-vous vite ! C’est gratuit et d’une grande simplicité.  (“L’erreur” est le titre provisoire de cette histoire. Nous trouverons le définitif ensemble ! )

scène 2

Arrivé devant son immeuble, un pincement des lèvres et un froncement des sourcils remplacent l’air angélique qui ne l’a pas quitté du chemin, marquant une concentration toute nouvelle. Il appelle l’ascenseur, mais, avant de monter, retourne dans l’entrée prendre le courrier dans la boîte aux lettres. La seule chose claire dans son esprit à ce moment est l’absolue nécessité de faire tout comme d’ordinaire, même si cette journée ne l’a absolument pas été, ordinaire. Vraiment pas du tout !

Parvenu à l’étage, il commence par chercher sa clef. Entre le manteau, la veste et le pantalon, trop de poches. Habituellement dans celle de droite. Elle n’y est pas. Ah ! si, cachée dans la doublure. Il ouvre la porte, rentre et la referme doucement comme pour ne pas réveiller sa femme, qu’il sait pourtant être absente ; le sentiment de culpabilité est en marche.

Il pose journal et courrier sur la commode de l’entrée, range son manteau sur un cintre dans le placard, ses chaussures dans le bas de celui-ci, enfile ses pantoufles trouvées au même endroit. Son téléphone vibre, il lui jette un œil, c’est son fils ainé, Jacques. Après une courte hésitation, il décide de laisser sonner. Pas urgent. Normalement il devrait se rendre maintenant dans la chambre pour y planter sa veste sur le valet de nuit, là où sa femme n’a de cesse de lui répéter inlassablement qu’elle doit être, ensuite se diriger vers la cuisine pour prendre une bière dans le frigidaire, l’ouvrir avec le décapsuleur à sa place dans le tiroir aux couteaux, entrer dans le salon, s’installer confortablement dans son Stressless, les pieds sur le tabouret assorti, et la déguster au goulot par petites gorgées en lisant tranquillement son quotidien en attendant l’arrivée de sa Chacha. Arrivée-balise de l’heure de mettre la table pour dîner un peu plus tard devant le traditionnel J.T, regardé distraitement et au volume sonore couvert par leurs propres commentaires de leur vécu de cette journée. Septuagénaires, cinquante ans de mariage en décembre prochain, le couple vit au rythme de ses routines.

Pas cette fois, enfin…pas lui !Non, aujourd’hui il doit s’organiser différemment ; il a des précautions à prendre. Aussi reste-t-il un moment dans l’entrée pour fouiller les tiroirs de la commode à la quête de la brosse à habits, un bidule dont la dernière utilisation remonte pour lui à… oh ! mathusalem. Pas dans le premier, pas dans le second et pas dans le troisième. « Mais zut, elle doit être là ! ». Il cherche encore. Ah ! La voilà, au fond du second, dissimulée sous une pile de nappes. Soupir de soulagement. Il frotte maintenant énergiquement sa veste, devant et derrière, et même un petit coup à l’intérieur, on ne sait jamais, l’observe soigneusement à la recherche d’on ne sait quoi, avant de se décider de la ranger. Directement à sa place, Charlotte appréciera certainement l’exceptionnel effort ! Cette parenthèse de nettoyage refermée, il ne se rend toujours pas dans la cuisine, une autre idée en tête. Direction la salle de bain où il se déshabille pour prendre une douche, en empruntant pour une fois le gel parfumé lilas de sa femme et en se shampouinant longuement. Rincé et séché, il se rappelle avoir dans son armoire une eau de toilettes pour hommes trainant là depuis un temps infini. Un cadeau qui n’avait pas eu jusque-là l’heur de lui plaire. Il s’en met méticuleusement une goutte derrière chaque oreille et chaque aisselle. Baissant la tête, il se renifle, sans doute pour vérifier que l’odeur est agréable sans être excessive. Encore nu comme un ver, il se regarde dans la glace. Il a toujours eu un quelque chose d’Eddy Mitchell, grand et bien baraqué, avec un visage triangulaire, mais sans le collier du crooner dont Chacha n’a jamais voulu. Pour la coiffure, elle est plutôt, et de plus en plus, Chiraquienne par sa parcimonie, même s’il essaye désespérément de lui donner un peu de volume. Certes, en apparence bien conservé, il ne peut plus se cacher la marque du temps et sa progression accélérée. Les hommes ne sont pas exclus de l’usure des années, une vraie égalité des sexes. Son miroir, qui n’a rien de magique, ne fait que lui révéler, chaque matin en se rasant, la cruelle vérité de son vieillissement. Un vieillissement qu’il accueille certes avec résignation, mais qui, en lui donnant une impression stressante de constant rétrécissement des jours, lui provoque à l’inverse un fort désir de profiter d’autant plus du quotidien, de jouir de ce dont il peut encore jouir et qui demain ne sera plus qu’un souvenir, faute de pouvoir à nouveau. « Je ne serai plus mardi ce que j’étais lundi, qu’aujourd’hui soit béni » aime-t-il pontifier, avec plus ou moins de sincérité selon la forme du moment. Malgré ce constat devant l’inévitable, il peut cependant se vanter et sans forfanterie de rester relativement un bel homme et ronronner de plaisir quand quelqu’un veut bien le complimenter qu’il ne fait pas son âge. Un corbeau sur son arbre perché…à fortiori si ce quelqu’un est une quelqu’une bien qu’il s’en défende avec vigueur !

Détail plus intime, en apparence anodin, auquel il ne peut rien, sa pilosité pubienne, autrefois très développée sans qu’il n’ait jamais su si cette caractéristique était aphrodisiaque ou non pour sa Chacha (encore moins expansive sur ce sujet que sur d’autres), s’est sérieusement clairsemée et blanchie au fil des années. Toutefois, fait exceptionnel qu’elle eut l’occasion de constater avec une curiosité amusée, quelques poils bruns, contre toute logique biologique, réapparaissaient depuis quelque temps ici et là, donnant à cette partie de son corps un surprenant « mais charmant » petit ensemble poivre et sel. Elle lui proposa bien un jour pour le taquiner soit de les teindre soit de « se faire faire le maillot ». Il préféra et sans l’ombre d’une hésitation « respecter l’ordre naturel des choses, en les gardant justement au naturel ! » Son médecin de famille avait lié cette curiosité physique à un renouveau rarissime de sa vitalité sexuelle, explication incertaine mais agréable et qui en valait bien une autre. Il lui avait conseillé prudemment d’en profiter mais avec modération compte tenu de son âge. Pour la modération, elle était garantie vu qu’au lit Charlotte était aux abonnées absentes depuis déjà fort longtemps.

Lucien se regarde encore quelques secondes en s’adressant des grimaces. Il ne comprend pas. Sa petite bedaine, ses bourrelets, ses taches brunâtres, certes il les connait bien et s’y est habitué, pas toujours facilement d’ailleurs, mais ce lundi, il les voit encore plus et – non – il ne comprend pas ! Il ne comprend pas comment ce qui vient de lui arriver a pu lui arriver.

Il saisit maintenant chemise, chaussettes et slips de la journée et les enfourne directement dans le tambour de la machine à laver au lieu de les poser comme d’habitude dans le bac à linge sale attitré, retourne dans la chambre s’habiller de vêtements propres rangés méticuleusement dans l’armoire et la commode par Charlotte.

Une douche le matin, une douche le soir, il a beau être toujours soigneux de sa personne, ça non plus n’est pas dans son rituel. Pas vraiment une économie d’eau ! Tout propret, parfumé et changé, sa chérie va-t-elle lui prêter des intentions érotiques pour l’avant ou l’après-dîner ? Si tel avait été tant soit peu le projet lui trottant dans la tête, il serait allé au-devant d’une déception certaine. Il le sait et elle sait qu’il le sait.

Regardant sa montre, il ne se dirige toujours pas vers la cuisine, mais vers son bureau pour y allumer son ordinateur. Posé à côté de lui, tiré de son porte-documents, une chemise ne comprenant que quelques feuilles sur lequel est écrit en majuscules et au feutre noir « Le paradoxe du temps ». Il ouvre « Qwant », le moteur de recherche français qui ne laisse pas de trace et tape les mots « temps et philosophie ». D’une liste de sites proposés, il choisit en premier Wikipedia. Saint Augustin, Descartes, Kierkegaard, Bergson arrivent au menu. Il précise son exploration : “Théorie des cordes“, lit attentivement la réponse et griffonne vite fait quelques notes sur une feuille de papier vierge. Pour compléter le cours du jour ? Il n’a pas eu lieu et – qui plus est -il se suffit presque toujours de ce qu’il a entendu et retenu et ne relit jamais les quelques notes, prises surtout pour faire comme tout le monde.

C’est donc plus d’un quart d’heure après son arrivée qu’il se décide enfin à s’installer au salon où Charlotte le trouvera ainsi plongé tout à fait normalement dans la lecture de son quotidien. Il en a oublié sa bière ! L’inspecteur Colombo aurait remarqué ce détail sans importance, le crime parfait n’existe pas.

À voir et sentir son mari, elle croira d’abord, comme prévisible, à des intentions post-télévisions assez précises et par prudence jouera la femme exténuée de son après-midi et qui plus est, victime d’une migraine tenace. Il faut dire qu’à 75 ans passé, et souffrant d’une insomnie chronique, les journées sont pour elle aussi longues que les nuits trop courtes.

Bien qu’elle se gardera de l’interroger sur les raisons de cette toilette vespérale inhabituelle, il tiendra à lui expliquer qu’il était revenu un peu incommodé par l’odeur de la salle de l’Université en raison d’un produit désinfectant utilisé par l’équipe de ménage entre les cours du matin et de l’après-midi par précaution sanitaire. En ce temps on n’en fait jamais trop ! D’où, avait-il précisé comme s’il y avait un mystère à élucider, son désir de se changer et de se doucher en rentrant. Pourquoi ce besoin permanent de se justifier alors qu’elle-même est plutôt du genre hermétique sur ce qu’elle fait en dehors de lui et, qui plus est, qu’elle ne lui demande rien ? Enfin… cette fois, c’est bien différent et clairement pour combler un malaise personnel.

Le repas se passera comme d’habitude. Charlotte aura fait preuve cet après-midi de distractions blâmables, surtout par sa partenaire, et elles auront fini avant-dernières. Distractions qui lui arrivent de plus en plus fréquemment et pas qu’au bridge, se soucie Lucien, sans rien en dire ; partager avec elle son inquiétude ne servirait à rien si ce n’est ajouter un problème au problème et ainsi l’aggraver alors que sa seule préoccupation est de la protéger. Sa Chacha il l’aime depuis l’adolescence ; il n’a aimé qu’elle ; le temps n’a rien changé à sa sincérité et il lui était toujours resté fidèle malgré les occasions de la vie.

Quand viendra son tour, l’exposé des contrats, chelems, chutes et levées perdues de sa bridgeuse de femme terminé, il parlera de son après-midi, sauf que…sauf que cette fois il le fera aussi brièvement que possible et surtout en brodant totalement. Le conférencier était revenu longuement et inutilement sur des notions déjà vues avant d’exposer succinctement, “la théorie des cordes” selon laquelle l’univers aurait plus de trois dimensions spatiales et que le mouvement d’un objet dans l’espace influe sur son évolution dans le temps. « Je ne te développe pas, j’en serais totalement incapable, je n’ai rien compris et je n’ai pas dû être le seul !», conclura-t-il, désireux de passer rapidement à un autre sujet. « Au fait, Jacques (leur fils aîné) a laissé un message pour que tu le rappelles. Il n’a pas dit pourquoi. Je suppose que ce n’est pas urgent. »

  • À cinquante ans, celui-là, il a encore besoin de sa mère ! Je me demande s’il sera un jour véritablement adulte, remarquera-t-elle.
  • Bof ! Les deux autres ne sont pas plus matures. Nous avons sans doute raté quelque chose dans leur éducation, je ne sais pas quoi, mais on le paye aujourd’hui », plaisantera à moitié Lucien en haussant les épaules.
  • Le pire est Joachim, poursuivra Charlotte. À 44 ans, se fera-t-il enfin une raison en comprenant que sa musique est sans avenir et se trouvera-t-il une femme qui le maintienne un peu dans les rails et l’oblige à se sentir responsable, ne serait-ce que de lui-même ?
  • Tu nous trouves mieux lotis avec Jocelyne ? A 47 ans, elle est toujours célibataire avec sur les bras une fille de 14 ans, un père à l’autre bout du monde et pas de vraie situation professionnelle.
  • Oui, on a sûrement loupé quelque chose mais on a fait tout ce qu’on a pu et on leur a consacré l’essentiel de notre vie. Alors maintenant qu’ils se débrouillent et fassent avec !

Lucien qui n’aura pas envie de poursuivre sur ce sujet, dont ils avaient depuis longtemps fait le tour et qui tracasse Charlotte encore plus que lui, montera légèrement le son du téléviseur. On y parlera d’un dangereux variant du virus, particulièrement contaminant et pour lequel les vaccins actuels seraient inopérants.   « L’humanité va un jour disparaître vaincue par l’infiniment petit.  Une jolie courbette de notre histoire » conclura-t-il et la soirée se poursuivra paisiblement comme d’habitude, y compris au lit, chacun dans son livre.

Pourquoi avoir inventé ces détails d’un cours qui n’avait pas eu lieu ? Qu’il ait décidé pendant sa promenade de retour de ne pas tout raconter, au moins pas tout de suite, soit. Vu son état d’excitation, ce n’était même qu’une sage prudence de prendre un peu de recul pour en relativiser si possible l’importance. Mais ne pouvait-il pas dissimuler sans ajouter un mensonge éhonté, un gros bobard, une tromperie supplémentaire ? De celle-ci ou de l’infidélité, quelle serait la plus insupportable pour Charlotte si elle découvrait un jour la vérité ? Maladresse d’une culpabilité naissante ?

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2 réflexions sur “L’erreur (scène 2).”

  1. « La seule chose claire dans son esprit à ce moment est l’absolue nécessité de faire tout comme d’ordinaire » phrase du premier paragraphe. Or, saisi par une panique bien compréhensive quand il se retrouve dans l’univers quotidien de leur couple, il fait tout le contraire de cette « absolue nécessité » (douche, brosse à habit etc etc). Est ce qu’il ne faudrait pas l’expliciter et entrer dans le dilemme qui doit déjà le torturer : mentir (ce qu’il s’apprête à faire je pense) ou ne rien dire (omission ?), il est claire que l’aveu simple et direct n’est pas d’actualité ?? La réponse donnée (les questions plutôt) dans le dernier paragraphe ne pourrait elle pas en arrivant dans le cours du chapitre, exprimer ainsi le bouillonnement qui doit se produire dans sa tête ??
    Deuxième remarque : Le lecteur est il dans l’esprit de Lucien et voit les choses de son point de vue, ou est il spectateur du déroulement en observateur ?? je ressens un balancement entre les deux points de vue à certains moments…..
    Bon courage pour la suite Pierre

    1. Oui, en arrivant chez lui, la préoccupation de Lucien n’est pas de faire comme d’habitude mais d’effacer les traces possibles de son aventure pour que la soirée soit pour Charlotte « comme d’habitude » . Je vais corriger.
      Le lecteur est-il dans l’esprit de Lucien ? « Le balancement « provient du fait que je souhaite qu’il le soit tout en me sachant provoquant et paradoxal. Mais oui, le jeu est de faire qu’il le soit.
      merci de cette aide si précieuse

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