Je voudrais divorcer, mais je ne pourrai jamais, c’est hélas irrémédiablement impossible. Inutile donc d’y penser.
Nous sommes certes unis pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à notre dernier souffle (d’ailleurs lequel des deux le poussera en premier ? Quand vous coupez la tête d’un poulet il continue à courir quelques secondes) et nous ne vivons qu’une seule vie, mais la mienne aujourd’hui s’écoule par lui brimée, encagée, confinée.
Pendant longtemps nous nous sommes parfaitement complétés, avons partagé des passions et même des exaltations et inversement affrontés ensemble notre lot d’épreuves en sachant nous soutenir indéfectiblement, toujours connectés, toujours en harmonie. Quand nécessaire, l’un consentait à des efforts pour répondre aux attentes et justes aspirations de l’autre ; l’un exhortait l’autre, l’un plus souvent que l’autre selon les époques.
Mais maintenant, je ne parviens plus à le motiver, nous ne nous entendons plus vraiment et chaque jour de moins en moins. Je vieillis beaucoup moins vite que lui et s’il fait son âge, tant pis pour lui ; moi, je sais que je ne fais pas le mien. Il me tient prisonnière de ses propres défaillances. Oh ! certes, je ne suis pas non plus de première jeunesse et souffre bien de quelques faiblesses, mais il me resterait assez d’énergie pour me fondre dans un partenaire plus alerte me permettant de continuer à satisfaire mes envies et mon imagination.
Je me rebelle bien de temps en temps, mais rien à faire, il me tient en laisse. Parfois – mais de moins en moins souvent – pour lui-même ou pour me faire plaisir, il sort de sa léthargie et tente un petit effort. Il part marcher, se dérouiller et m’aérer, pense-t-il, encore un peu soucieux de mon moral. Illusion euphorique d’un instant. Très rapidement il cale, s’arrête, essoufflé, épuisé, endolori de maux anciens ou nouveaux, crampes, courbatures, tendinites, arthroses … au bout du compte découragé et renforcé dans l’idée qu’il est trop tard pour lui. Non, il ne veut plus suivre, dit qu’il ne peut plus, toujours fatigué, chaque matin un peu plus, décidé à ne plus bouger quand, moi, je voudrais m’évader. Il oublie un peu trop que sans moi il n’est rien d’autre qu’un légume. La nuit reste mon domaine, ma liberté et, ne pouvant faire lit séparé, bien éveillée malgré les drogues absorbées, je me balade loin de lui et de son sommeil. Preuve que je le gêne autant qu’il me gêne et que cette union n’est plus guère que désunion. Comment peut jouer l’archet d’un violon désaccordé ?
Je ne me berce d’aucune illusion, il ne me sera pas offert de seconde chance dans un au-delà et ce corps que je n’ai pas choisi, que je le veuille ou non, moi, sa caboche, je mourrai avec lui ; à petit feu sans doute, à moins que je ne craque avant, s’il n’arrivait plus du tout à me garder et moi à le supporter. En attendant ce jour, nous pactisons, de compromis en souvenirs, nous conservant une tendresse du bon vieux temps. Une histoire de tête, quoi !
Comme c’est bien écrit et saisissant de vérité.
Effectivement, après le coup de foudre, l’éducation des enfants, que reste-t’il du couple.
Le mariage fait que deux êtres aux personnalités différentes doivent vivre ensemble!!
Tout va bien quand les deux vont et regardent dans la même direction, mais une fois que les enfants ont quitté le naire, que devient le couple…
Pour certains, la joie de se retrouver enfin seuls, mais pour d’autre c’est le néant.
En vieillissant, l’un reste en forme et se voit bien arpenter les sentiers, visiter des villes, faire du sport, s’occuper l’esprit pendant que l’autre n’a pas envie de bouger et reste devant l’ordinateur et la télévision à s’abrutir l’esprit….
Mais les deux restent ensemble par habitude, l’un à côté de l’autre…
C’est cela la vieillesse!!!!
Combien de femmes devenues veuves retrouvent la joie de vivre et assouvissent leurs désirs qui étaient enfouis sous le joug de leur conjoint.
Mais pour autant, ces femmes n’ont pas divorcé……
j’ai voulu dire : les enfants ont quitté le nid.
Double lecture possible.
Est ce le couple
ou l’union du corps et de l’esprit. ?
L’un vieillit et l’autre peut rester vif , engoncé dans son enveloppe charnelle qui ne le porte plus…
Très beau texte. J’adore.
La tête est une réelle emmerdeuse – le corps aussi.
Ah, si nous étions nénuphars de naissance, quelle bonheur ce serait…
(Très beau texte, merci cher Pierre.)