(Humeur)… car, lorsque celui-ci m’a connue, je n’étais rien et n’avais rien, même plus le sommeil ni l’appétit, ni non plus l’envie de vivre, et bientôt plus de toit.
Celui-ci m’a aimée avec ce rien que j’étais et que j’avais, il m’a soignée et il m’a sauvée.
Et celui-là, quand il m’a connue, je n’étais pas grand-chose et n’avais pas grand-chose, à peine le sommeil et si peu le goût de vivre, et il m’a aimée avec ce peu que j’étais et que j’avais. Il m’a sauvée, et il a donné à ma vie le sens qu’elle n’avait pas qui me fait me lever matin.
Un troisième m’a rêvée et, comme beaucoup avant lui, car ils sont innombrables, n’a pas aimé comment j’aimais, ce que j’aimais ni, au bout du rêve et de la nuit, qui j’étais. Il ne l’a pas aimé ni ne l’a compris, et avec lui je découvre ma fatigue de vouloir me défendre et m’excuser, ma fatigue de cet effort inutile vieux de quarante-sept années, et à sa façon d’être déçu de moi, il m’a sauvée de ce combat.
Je lis dans un livre que je lisais déjà il y a trente ans, “Peut-être que j’aurais fait moins de mal aux autres si je n’avais pas tant cherché à ne leur en pas faire”, et je pense à ceux que j’aime et à ceux que j’ai aimés, à ceux qui m’ont rêvée et que j’ai déçus, à ceux sur lesquels ma tendresse s’est usée comme la pierre sous l’eau ou s’est trouvée refoulée par de hauts barrages, à mes lâches renoncements et à mes vains combats, et me vient le seul désir d’un pauvre “ainsi soit-il” face à ce que l’amour sauve ou trahit, face à nos défaites et à nos combats, face à ce rien ou peu de chose que je suis et qui maintes fois a été condamné et maintes fois a été sauvé, que d’aucuns aiment et qu’ont rêvé les autres, et ce jour me voit déposer l’épée et le mouchoir blanc, mes faillites et mes offrandes, toute idée et tout argument, tout procès et tout pardon, et en même temps le désespoir et l’espérance…
La citation entre guillemets est extraite du livre de Lorette Nobécourt, “La Conversation”.