Variation sur le thème du confinement.
Depuis ma fenêtre, je vois le balcon du voisin. Le premier jour, je l’ai surpris par hasard. Le torse moulé dans un tee-shirt usé avec des palmiers dessinés dessus, il avait l’air à peine plus vieux que moi.
Le lendemain, planquée derrière le rideau, je me suis penchée, comme ça, pour vérifier : il se tenait sur son balcon, un énorme sac poubelle à la main. A horaires réguliers, chaque matin, iI empile des sacs plastiques près de la balustrade. Combien sont-ils pour produire autant de déchets ? J’en ai parlé à bibi. Oui, bibi, le lapin en peluche qui traîne sur ma couette depuis des années. Voilà un des effets pervers du confinement : quand je révise mes mathématiques, il me fixe de ses grands yeux immobiles et je me crois obligée de lui raconter ma vie. Pauvre fille.
Le hasard devient habitude. Vers neuf heures, lorsque le soleil caresse la façade, quand l’air sent bon la rosée du matin et non les pots d’échappement, j’entrouvre la fenêtre. Le cinquième jour, je crois, il adresse un signe de la main et je souris. Un mini-sourire, je ne suis pas très douée pour me lier avec les gens. La voix de ma mère interrompt ce moment de romantisme intense :
– Tu peux descendre acheter du papier toilette ?
Elle tend un billet de vingt euros.
J’enfile un sweat-shirt et marche jusqu’au Carrefour Market. Il y règne une atmosphère post-apocalyptique : plus un seul rouleau dans les rayons dévastés. J’imagine les gens dans leurs appartements, entourés de pyramides de Lotus senteur fleurie.
Ma mère est énervée – mais qu’est-ce qu’on va faire ? Et, là, idée de génie – si on demandait au voisin ?
Devant ma penderie, j’hésite. Une blouse à volants ? Un tee-shirt, genre je ne me suis pas changée ? Je maquille mes yeux. Ma mère fronce les sourcils en entrant dans la chambre – mais tu vas où, pomponnée comme ça ? Je hausse les épaules. Nulle part. Sur le palier.
Je sonne. Personne ne répond, c’est réglé. C’est idiot mais je me sens triste.
Et puis, cavalcade derrière la porte.
Il ouvre. Il est essoufflé derrière son masque. Il a un épi au sommet du crâne et des paillettes dorées dans les yeux.
– Tu aurais du papier toilette ?
Quelle que soit la suite, je ne crois pas que je me remettrai de cette entrée en matière.
Mais il sourit, pousse la porte du pied et m’invite à entrer. Je le suis sur le balcon, il déchire le haut d’un des énormes sacs et des rouleaux rose senteur fleurie dégringolent sur le sol.
– Trois packs de 48, il annonce. Je me demandais quand tu viendrais.
http://sophievuillemin.wordpress.com
membre des « Romanciers Nantais »
Deux romans publiés :
- C’est quoi ton stage ? Éditions Chloé des Lys
- L’histoire entre nous n’est pas terminée. Éditions Chloé des Lys
Bonjour,
J’ai beaucoup aimé la fraicheur du texte, de l’histoire narrée, avec son dénouement comment un paquet surprise. Merci, pendant quelques secondes j’avais le coeur comme de ma jeunesse.
C’était bien le genre de trucs que je faisais, les trucs improbables mais pourtant si vraies dans le détours ciblé de ce qui nous entoure.
J’aurais souhaité savoir si l’histoire narrée par Sophie, était vrai ou si cela était imaginé par rapport à des situations.
Bonjour Johanne,
Merci de votre commentaire qui m’a beaucoup touchée. Histoire totalement inventée. Pour tout vous dire, l’idée est née à l’occasion d’un atelier d’écriture destiné aux adolescents que j’anime. Puisque j’étais entourée de jeunes, j’ai, moi aussi, retrouvé les maladresses de mes seize ans le temps d’un texte.
Sophie, ravie de lire ici ta plume fraîche et… vagabonde…. ta plume adolescente….