Le cap des tempêtes

Je vous offre ici une nouvelle qui gagna, il y a quelques années un concours régional, et qui fait l’ouverture de mon recueil “Sur le fil ” toujours disponible, par exemple sur Amazon.

Sur l’Île NAFARINO, au sud du Chili à Puerto Williams, port où font souvent escale les marins avant d’affronter le passage du Cap Horn, repose sur le flanc Astraeos, un beau voilier de douze mètres ayant appartenu à un compatriote breton, démâté et portant encore les blessures d’une fortune de mer. J’en suis devenu le propriétaire lors d’une vente aux enchères de la marine nationale chilienne dont le représentant a tenu à me remettre le livre de bord de son dernier voyage. Curieux de cette démarche inhabituelle, je me suis empressé de le lire.

« 10 décembre. Position : 15° 16’ N – 22° 30’ W au large des îles du Cap vert. Vent de NE régulier, force 4 à 5. Ciel bleu avec des filets nuageux intermittents. Je navigue à 60° du vent avec un léger clapot que le bateau absorbe parfaitement. Le génois, bien bordé, donne son maximum et le bateau file à plus de 8 nœuds. Une excellente moyenne pour un voilier de croisière de cette catégorie comparée aux 14 et plus des machines de course du Vendée Globe. Certes la route que nous avions préparée et que je suis fidèlement est très proche de la leur, mais mon temps à moi est celui du soleil et chaque soir mon enfance rallume tranquillement ses constellations d’étoiles.

La solitude est une compagne encore trop récente pour que nous soyons parfaitement habitués l’un à l’autre, mais je lui suis déjà reconnaissant de l’harmonie – même éphémère – qu’elle m’apporte. Mon chagrin prend peu à peu sa place sur la mer pour aller au bout de mon âme.

Quinze jours que j’ai quitté le port de La Rochelle, quinze jours que j’ai pris le large.

Jeanne et Paul, vous me manquez, terriblement.

6 janvier. Position : 37° 14’ S – 20° 14’E au sud du Cap. Beau temps. Vent plein W, force 3 dans les meilleures risées, dépassant rarement 10 km/h. Température douce de 14° à 15 h 35.

Depuis quarante-huit heures le vent a beaucoup molli. J’ai hissé le spi sans aucune difficulté. Grâce à sa légèreté, il s’est aussitôt gonflé fièrement. Rouge et jaune, il est magnifique et brille de tous ses éclats sur ce fond de ciel à peine voilé. C’est toi Jeanne qui l’a dessiné, choisi ses couleurs et nous te regardions modéliser tes projets sur l’ordinateur avec aux lèvres cette promesse d’un bonheur commun, qui pourtant ne sera jamais.

Je passe actuellement au large de Port Elizabeth où nous avions envisagé de faire une grande escale, mais seul je n’en ferai aucune. Je fais route maintenant, direction SE, vers l’Australie.

Paul, sois content car au départ je n’ai pas pris d’essence pour le moteur. Tu n’aurais pas aimé, et moi non plus, qu’à une mer accueillante je réponde par les crachats polluants de la modernité. Je ne veux pas forcer la nature mais au contraire me fondre en elle. Si je m’encalmine complètement, et bien j’attendrai le bon vouloir d’Eole. Que m’importe !

Quarante-deux jours maintenant que j’ai pris le large, quarante-deux jours que j’ai pris le large du temps.

Jeanne, Paul, vous me manquez, terriblement.

La suite dans la prochaine mise à jour.

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