Sans regret.
Luc Pariot, génial romancier méconnu, cherche toujours à participer au recueil des romanciers nantais sur le thème du rendez-vous amoureux à Nantes mais ne parvient pas à imaginer la fin heureuse réclamée par ses lecteurs habituels. Il décide de puiser dans ses propres souvenirs.
J’avais 18 ans, mon billet pour intégrer « Sup de Co Paris » en poche, mon dériveur sur la plage, l’été s’annonçait royal ! Je passerais ces deux mois dans la maison de bord de mer de mes parents, d’autant décidé à profiter de ces vacances bien méritées que je pressentais qu’elles seraient les dernières sous cette forme.
Mon frère m’avait initié très tôt aux plaisirs de la voile, à l’époque sur un « Vaurien », un dériveur en bois révolutionnaire pour son époque, supplantait ensuite par le « 420 » en plastique, insubmersible et surtout facile à redresser après chavirage. Mon père m’en offrit un dès sa sortie (N°333 !) , tout heureux que je me consacre à cette saine activité sportive ; dès ce jour-là, j’avais quinze ans, je participai à toutes les régates de la côte qu’il suivait avec attention bien qu’il n’y comprenne techniquement rien. Sa fierté paternelle de me voir l’emporter satisfaite, je pouvais occuper comme je l’entendais le reste de mes journées et de mes soirées…je ne dis pas de mes nuits car il tenait à que je sois en forme pour la course du lendemain. Mon titre de champion régional de la catégorie acquis à seize ans m’assurait une certaine notoriété locale et justifiait que je donne quelques cours de voile pour me faire de l’argent de poche. Avec moi, garçons et filles ne bénéficiaient pas tout à fait du même programme. Les premiers commençaient par quelques leçons théoriques sur le parallélogramme des forces et ses dérivés marins, devenaient ensuite équipiers, montaient au trapèze, prenaient enfin la barre, apprenez à virer, tenir un cap et bien entendu à redresser le bateau après un chavirage que je provoquai, parfois sans prévenir. Pour « les filles de mon âge », le déroulé était très allégé. D’abord, pour la plupart d’entre elles, les sorties se limitaient aux seuls jours de beau temps, un machisme justifié par des questions de poids et de force. Aux plus mignonnes, je proposais alors un cours sur le sable chaud et à l’abri du vent… pas que du vent, entre deux coques de bateaux, par exemple. L’objectif était très vite moins l’initiation à la navigation, objectif souvent que parental, que de s’éloigner du regard des jumelles et longues-vues des pères et mères, désireux de suivre les prouesses supposées de leur progéniture, pour une tendre ballade romantique. S’il y avait chavirage, c’était en douceur et par décision commune. Une forme de baignade avant d’accoster pour une agréable opération séchage et bronzage sur une plage aussi déserte que possible ; je connaissais par cœur tous ces petits bijoux de tranquillité non accessibles par la côte. Ainsi, des parents bien intentionnés me payaient-ils inconsciemment pour flirter avec leurs filles ! Ce n’était pas le salaire de la peur mais celui d’un divertissement platonique. Merci frérot de m’avoir inculqué les plaisirs de la mer ! Je te dois chacun de ces bons moments.
Séverine commençait avec moi sa deuxième saison de voile. Pas franchement passionnée de ce sport, elle ne progressait guère…mais lui en avais-je donné vraiment l’opportunité ? Elle ne considérait le bateau que comme un passe-temps entre deux parties de tennis et se montrait nettement plus à son aise en nocturne dans les boîtes ou les soirées chez des copains, quelques parents ayant de temps en temps le bon goût de s’absenter. Si elle flirtait volontiers, elle avait aussi l’art de me tenir gentiment à distance de toute entreprise plus hardie. Clairement : flirter : oui, coucher : non et je devais me débrouiller pour m’en satisfaire.
Ainsi alla juillet et commença août quand sa mère exprima un jour le désir de me voir, sans doute, supposai-je, pour me payer les leçons déjà prises. Entre nous soit dit, non seulement j’aurais donné celles-ci gratuitement mais je les aurai volontiers multipliées. Cette petite simili liaison, primauté conférée au champion, connue de tout le club de voile, devait certainement l’être également du voisinage. Pourtant, mon père ne disait rien. Voyait-il là une future et convenable alliance ou plus simplement laissait-il aller tant que je ne négligeais pas les régates ? Après tout, en septembre je m’éloignerais et cette amourette deviendrait rapidement de l’histoire ancienne.
C’est donc tout sourire que je me rendis chez cette robuste et respectable matrone dans sa grande maison bourgeoise, un vrai petit château. Elle m’accueillit très gentiment mais quand, en réponse à sa question apparemment anonyme, je lui précisai, avec une fierté imbécile, l’école que j’allais intégrer, son visage changea. J’ai cru une seconde son étonnement flatteur, et ma surprise valut bien la sienne en l’entendant me déclarer : « Mais, mon garçon, je croyais que vous vouliez faire polytechnique ! » (J’en aurais été bien incapable, déjà qu’avoir décroché l’ ECP avait été un exploit et une surprise pour toute la famille !) Elle prit alors un ton à la fois ferme et – pour la forme – désolé : « Ma fille fera comme moi, elle épousera un polytechnicien et je vous demande donc de vous en tenir désormais à distance. D’ailleurs les tournois de tennis vont commencer et elle doit s’entrainer davantage si elle veut améliorer son classement. Vous trouverez aisément dans votre club d’autres élèves et en particulier d’autres jolies filles qui vous consoleront volontiers. Vous êtes très sympathique, mon garçon, mais la mienne n’est pas pour vous. » Je fus payé de mes cours mais pour solde de compte et non d’un acompte. À en discuter un peu plus tard avec Séverine, elle n’était nullement fiancée et si ses parents ne manquaient pas de recevoir souvent des polytechniciens, elle n’était à l’époque amoureuse d’aucun. Cependant, loin de se révolter contre cet ukase parental qui me révoltait, elle s’en satisfaisait aisément, considérant que le confort et la sécurité étaient pour son avenir plus importants que l’amour dont elle se débrouillerait, à l’exemple de sa mère. Comme quoi l’éducation par l’exemple est la plus efficace !
Si je fus sur le moment affreusement vexé, le conseil final de madame Mère ne manquait pas de bon sens ; à cet âge mon cœur se montrait volontiers polygame et les candidates aux sorties en mer, pudiquement nommées « cours de voiles » ne manquaient pas. J’oubliai donc rapidement vite Séverine, un flirt remplaça un flirt et ce bel été teint toutes ses promesses. En septembre je m’installai à Paris dans une chambre d’étudiant. Une nouvelle page de ma vie commençait, sentimentalement aussi.
Environ deux ans plus tard, alors que je me rendais chez une charmante bachelière pour un cours particulier de mathématiques et par un de ces hasards improbables que nous réserve la vie, je rencontrai Séverine à une bouche de métro. Au bout de ses bras une grande poussette. Dans la poussette trois bébés parfaitement identiques. Elle avait bien épousé un polytechnicien, lequel lui avait fait des triplés ! Quant au tennis, évidemment qu’elle n’avait plus le temps d’y jouer, me confirma-t-elle dans un sourire qui me sembla un peu triste.
Ouf, merci madame Mère ! Votre fille n’était pas un rendez-vous pour moi. Sans regret.
Notre écrivain se relut, d’abord satisfait ; tout était bien qui finissait bien. Puis il grimaça. L’action ne se passait pas à Nantes et l’histoire n’était donc pas éligible au recueil des Romanciers Nantais. Décidément il n’y arriverait pas !
Trop fort ce Luc Pariot ! Il va nous faire volontairement le tour de tout ce qui est possible et imaginable pour tourner autour du pot et tirer en longueur pour le plaisir ….
Tournicoti, tournicota, le Luc Pariot !