Accident de caddie
Luc Pariot, génial romancier méconnu, cherche toujours à participer au recueil des romanciers nantais sur le thème du rendez-vous amoureux à Nantes, mais venant de revoir « Un homme et une femme » s’imagine aujourd’hui en scénariste.
Irwan a rendez-vous avec Maëlle au Starbucks Coffee du centre commercial de Beaulieu. Le rendez-vous de sa vie. Une demande en mariage ! Pas question de faire attendre sa belle. Il s’engage donc dans le parking en poussant à fond la caisse sur ses Rollerblade collectors. Surgit alors, sur sa gauche, derrière une travée de voitures, un caddie plein à ras bord, poussé par une jeune femme à cet instant soulagée de sortir de cet enfer. En l’absence de freins sur les patins de notre amoureux, la collision est inévitable et certains penseront que ce sont les choses de la vie !
Sous le choc, dans un ralenti à la Claude Sautet, le chariot commence à basculer malgré les efforts désespérés de sa conductrice pour le retenir tandis que les achats du haut de la pile passent progressivement par–dessus bord avant même que l’engin soit complètement à terre. Une bouteille de vinasse (à l’odeur) se fracasse pendant que deux autres se mettent à rouler sous une voiture, le potiron suit de peu avant de se faire doubler par quelques pommes de terre qui sursautent d’émotion, rejointes à leur tour, deux secondes plus tard, par un tranquille et silencieux rouleau de papier hygiénique. Des œufs se cassent maintenant à côté de l’engin sur le flanc, macules jaunes bientôt mélangées d’un filet rouge de ketchup. Avec un peu de retard, quelques petites tomates potelées se persuadent de quitter aussi le navire tandis qu’une brave et fraîche laitue d’un joli vert “Cetelem”, reste désespérément accrochée à une roulette qui tourne encore.Tout semble enfin s’immobiliser dans un silence de fin du monde quand la bouteille de lait, pour une raison inconnue, se décide à se séparer de ses consœurs pour se fracasser sur le bitume, apportant opportunément un esthétique fond blanc à ce tableau surréaliste.
La jeune femme fait d’abord un « ho ! » suivi d’un « Eh bien, ça alors ! » et, ne trouvant rien d’autre à dire, reste figée, en mode pause, les bras en avant comme si elle tenait encore son caddie, le regard fixé sur la ligne improbable de l’arrivée de la course de ses légumes. Irwan, un peu sonné par le choc, assis sur les fesses, les patins en l’air, demeure un instant étourdi, les yeux hallucinés, avant de se relever, pressé de rejoindre sa jolie copine à l’étage de la brasserie. Mais un monsieur, très respectable et légèrement bedonnant, qui a eu le loisir de voir toute la scène, ne l’entend pas ainsi. Il s’interpose autoritairement et dignement, pour exiger que notre amoureux (mais il n’y a que lui qui le sait) s’excuse, ramasse tout ce qui est à terre et indemnise la jeune femme de ce qui est cassé. Notre patineur bafouille qu’il n’a pas le temps, qu’il vient de droite, qu’il est très pressé, désolé, qu’il reviendra dans cinq minutes faire un constat, qu’on l’attend, un rendez-vous important. Un vigile costaud (pléonasme ?) s’approche pour s’en mêler à son tour et le ceinture pour le retenir, tandis que d’autres caddies, inquiets du sort de leur consœur et poussés par des badauds, s’agglutinent en cercle autour de la scène. Apparaît dans le champ une voiture de police qui faisait opportunément (enfin, ça dépend du point de vue !) sa ronde. Deux agents en descendent à l’instant–même où Irwan, fortement énervé, en essayant de se dégager donne un violent coup de coude dans la figure du garde qui se met à saigner du nez et à vociférer. En deux temps trois mouvements, le voilà menotté, les mains dans le dos, et poussé manu militari dans la voiture qui le conduira, gyrophare allumé, au commissariat principal.
Quand il pourra téléphoner à Maëlle pour s’excuser de son absence, elle ne croira pas un mot de son histoire, trop rocambolesque pour être vraie, et lui raccrochera au nez. Une rupture avant même l’union !
Luc Pariot a presque tout bon par rapport à la contrainte de départ : le lieu et l’objet du rendez-vous. Sauf que celui-ci n’a pas eu lieu. Son héros lui a encore échappé, à cause cette fois d’un caddie. La fatalité le poursuit et le désespère !
Luc Pariot, par son écriture et ses différents récits, n’en est-il pas par cet exercice, à rechercher, essayer de déterminer, cerner, la femme qui lui correspondrait …. ?
De quoi le désespérer, alors ! L’épisode 3 avait pour origine un ancien vécu, le reste est pure fiction.
En fait ce récit, épisode 4 est très bizarre je trouve, parce qu’il y a plein d’éléments qui ne me semble pas tenir la route : le rouleau de papier hygiénique qui est seul, sorti de son paquet désolidarisé des autres, les légumes comme par exemple la laitue qui arrivent à sortir de leur sac respectif (c’est dur pour une laiture de sortir de son sac qui lui colle aux feuilles), une demande en mariage, avec un choix de décors, d’éléments/habillage, des plus surprenants, à la hauteur de ce va arriver (ça contre-balance en miroir … Ouf ! on a échappé au pire … déjà là le miroir donne un échantillon …), Irwan omnubilé par sa belle, son rdv et sa demande en mariage, qui ne prend pas la peine de mesurer la situation de l’accident et qui veut se précipiter à son rendez-vous coûte que coûte …., une belle qu’il ne connait pas si bien que ça ou qui ne le connaît pas si bien que ça, pour qu’un raccrochage au nez par téléphone en signe la fin de sa relation (il voulait tout de même la demander en mariage ! Je n’ose imaginer qu’elle aurait été sa réponse ….).
Oui donc du coup, avec des scénarios de ce type pour Luc Pariot, je me dis que c’est un moyen, d’essayer plein de scénarios foutus d’avance, pour essayer de déterminer quelle type de belle permettrait qu’il ait un scénario qui tienne la route jusqu’au bout, à la hauteur de son esprit et de sa vie ….