Je n’avais d’abord publié ici que le premier acte de cette saynète. La voici dans sa totalité.
Premier acte
Lieu : un tribunal
Le président : Prévenu, il vous est reproché d’avoir trop aimé votre fils et – fait aggravant – de l’avoir élevé bourgeoisement. Reconnaissez-vous les faits ?
L’accusé : Monsieur le Président, sans vouloir vous offenser, puis-je faire remarquer que la caractéristique de la cuisine bourgeoise est d’être simple et bonne ? Mais pour le reste, oui – bien sûr – j’ai beaucoup aimé, et j’aime d’ailleurs toujours, mon fils. Je ne savais pas qu’il ne fallait pas !
Le président : Allons vous savez bien que nul n’est censé ignorer la loi et pour ce qui nous concerne que les parents sont toujours responsables.
L’accusé (timidement) : C’était mon premier enfant, Monsieur le Président.
Le président (avec un geste d’humeur) : Mais raison de plus pour être prudent ! On n’aime pas comme cela, naïvement !
L’accusé (qui visiblement ne comprend rien) : Mais l’amour paternel n’est-il pas aussi naturel et instinctif que l’amour maternel ?
Le président (montant un peu le ton) : Attention, je dois vous prévenir qu’en reconnaissant vous être laissé guider par vos sentiments vous aggravez votre cas. Votre dossier est déjà bien assez lourd !
L’accusé reste silencieux, la tête basse.
Le président (faisant semblant de parcourir des notes) : Il est clair que non seulement coupable de l’avoir étouffé d’affection, vous l’avez élevé en lui donnant toutes les chances possibles.
L’accusé (complètement ébahi) : Ah ! Il ne fallait pas non plus ?
Le président (avec un sourire condescendant) : Mais enfin réfléchissez ! À se savoir tant de chances, votre fils était trop tenté de n’en saisir aucune. Si vous préférez, vous êtes responsable de son irresponsabilité.
L’accusé (qui commence à se tasser sur lui-même) : Je voulais seulement son bien.
Le président : C’est justement ce qui lui a fait tant de mal ! (Puis il ajoute, visiblement désireux d’en finir) Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?
L’accusé (croyant pouvoir saisir la balle au bond) : Ah oui c’est vrai tout de même ! Il est majeur.
Le président (dans un abîme d’ennui) : Mais la “majorité” est une invention électorale sans rapport avec la responsabilité parentale qui est à vie et qui sera d’ailleurs bientôt étendue au-delà. Bon, il faut en finir ; j’ai du monde à dîner ce soir. Vous êtes reconnu coupable d’avoir trop aimé votre fils et vous êtes donc condamné à le “désaimer” en vertu de l’article 32 bis du code parental.
L’accusé (plus inquiet qu’abattu) : Mais, Monsieur le Président, je ne saurais pas le faire !
Le président : Et bien faites au moins semblant, par exemple en prenant vos distances.
L’accusé : Cacher mes sentiments n’est pas dans ma nature.
Le président (par trop agacé et regardant sa montre) : Les hommes comme vous sont trop dangereux, on devrait les enfermer.
L’accusé (fermant les yeux) : Oh ! Oui. Oui ce serait mieux. Et ainsi je me reposerais !
Le président : C’est hélas impossible puisque vous avez d’autres enfants.
L’accusé : Justement, dois-je aussi « désaimer » les autres ?
Le président : Mais je ne sais pas, moi. Je suis là pour juger, pas pour donner des conseils. Vous avez voulu des enfants, eh bien débrouillez-vous en maintenant !
L’accusé : C’est vrai, je les ai voulus. Je les ai voulus très fort. Je suppose comme tous les pères, n’est ce pas ?
Le président : Les miens, si l’on peut dire, ont été voulus par ma femme. Je ne m’en suis jamais occupé et je n’en suis pas responsable.
L’accusé : Et ils vont bien ?
Le président : Je vous dis que je ne suis pas responsable.
Allez, au suivant !
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Deuxième acte. (Même décor.)
Le président : Mais je vous reconnais ! Qu’avez-vous fait cette fois ?
L’accusé : Bien sincèrement, Monsieur le Président, je ne sais pas.
Le président : Allons, nier les faits n’est peut-être pas la meilleure défense.
L’accusé : Mais je ne cherche même plus à me défendre. Choisissez vous-même le motif d’accusation. Ma fille me reproche de ne pas m’être assez préoccupé d’elle, et mon épouse me dit au contraire que j’en ai trop fait.
Le président (haussant les épaules) : Eh bien voilà. Vous avez deux fois tort !
L’accusé : Oui, je veux bien ; je ne suis plus à un reproche près, mais c’est tout de même contradictoire.
Le président : Mais enfin, vous n’avez pas encore compris qu’être parent c’est être responsable et donc fautif de tout, y compris d’une chose et de son contraire ?
L’accusé (humblement) : Vous avez raison. Déjà avec l’aîné…
Le président : Oui Je me souviens même très bien de votre affaire. Et maintenant avec le troisième que comptez-vous faire ?
L’accusé : Là, Monsieur le Président, je sais. La solution est très simple : je vais faire comme je le sens et pas autrement puisque ce que je fais ne change rien !
(Se penchant vers le président, sur un ton plus bas de confidence) Et vous, Monsieur le Président, que devient votre fils ?
Le président (même jeu de scène) : Ne m’en parlez pas ! J’ai bien pris soin de ne pas me mêler de sa vie et voilà que maintenant il me le reproche. C’est un comble !
Bon, en ce qui vous concerne, je vous place sous surveillance administrative.
L’accusé : Ce qui veut dire que je vais être aidé ?
Le président (amusé) : Bien sûr que non ! Cela ne veut en fait rien dire. Mais il faut bien que je prononce une sentence. La justice juge, monsieur. C’est tout.
extrait du recueil :
( Ce livre n’est plus en magasin, mais il m’en reste quelques exemplaires.)
Bien vu et très plaisant. Merci
« Le bien vu » provient d’un vécu parental, évidemment ! 🙂
Très drôle !
Merci.
J’aime beaucoup mais je n’aurais pas aimé avoir à faire avec ce juge … en tant que mère 🙂
Dans cette scène le juge est le miroir du père.