Pour vérifier que mon cerveau s’était, lui aussi, un peu déconfiné, j’ai écrit cette bluette. À vous de juger dans quel état il est réellement ! Je vous offre ce conte revisité à ma sauce en espérant qu’il vous amusera.
Si Charles Perrault avait été confiné.
Il était une fois un couple bourgeois, Charles et Joséphine Verrault, qui avait trois filles : Anastese et Javotte, grosses, moches comme leur mère et coléreuses (il faut avouer que de porter de tels prénoms, surtout à notre époque, a de quoi vous rendre de mauvaise humeur à vie !) et Cendrilla *, l’aînée, née d’un premier mariage de l’époux. Elle était très différente de ses sœurs, proposant au regard un corps magnifique, aux rondeurs sans excès et fermes, une taille fine, une chute de reins obsédante et des jambes de rêve. Quant à son caractère, généreux, en tout temps égal et souriant, il était également avenant et agréable à fréquenter.
Charles était marchand d’armes et, de par cette profession, souvent invité aux fêtes données par les grands de ce monde. Aussi, soucieux de trouver maris à leurs filles, le couple ne manquait pas de les emmener avec eux à chaque occasion qui se présentait. Enfin, je veux dire les deux aînées, les deux laiderons, désespérément jamais Cendrilla, pour des raisons, bonnes ou mauvaises, gardées jusqu’à tout à l’heure soigneusement secrètes.
Or, il arriva qu’un jour, mi- juin 2020, le prince saoudien Abdada Ben
Abdelduriz, fils de
Mohamed Ben Abdelduriz, en vacances dans la résidence d’été familiale de Saint-Tropez (prononcez saint-Trop ), décida d’y organiser une prestigieuse fiesta pour son anniversaire.
Le président français Manuel Cramon venait justement d’annoncer, dans un très beau discours, la fin immédiate du confinement, tout en soulignant qu’il restait essentiel de continuer à respecter les trois mesures barrière. Trois, un chiffre premier magique ! Les 3 maisons de cadet Roussel, la trinité, les trois rois mages, les trois dimensions, etc, et maintenant les trois précautions. Même pour les musulmans, portés plutôt sur les cinq et sept, il symbolise les trois mondes : céleste, intermédiaire et terrestre. (Oui, vous voyez qu’on peut s’amuser et s’instruire en même temps !)
Pour en revenir à Abdada, il était évidemment jeune, beau et riche (encore trois qualités !) avec un paternel très influent dans la région et même largement au-delà dans les sphères politiques internationales. La construction de sa résidence française avait donné lieu à quelques dérogations d’urbanisme qui avaient fait tousser. Mais il avait su soigner son image locale en sponsorisant un club de foot et en donnant généreusement quelques subsides à des associations qui lui étaient recommandées par la mairie et ainsi faire taire ces grincheux qui voudraient que les règles générales soient appliquées à tout le monde. Bref, si les distanciations covidiennes entre les invités ne seraient évidemment pas respectées dans cette soirée, on ne pouvait de toute façon rien refuser à l’Emir. Qui plus est, cette fête devant se tenir dans un lieu privé, aucun ministre de la police ne pouvait l’interdire. D’ailleurs celui encore en place pour quelques semaines, Christophe Mancpadair, très amateur de soirées, y fut aussi convié ce qui lui posa grand souci. D’un côté décliner pouvait blesser la famille Abdelduriz, une faute diplomatique qui pourrait lui être ensuite reprochée, et de l’autre s’il s’y rendait, la presse ne manquerait pas d’en faire ses choux gras. To go or not to go ?
Abdada lança donc des centaines d’invitations pour un grandiose bal masqué. Oui, « masqué » : signe de bonne volonté par rapport aux mesures barrière ou ironie légèrement provocatrice ? Il y eut à ce sujet débat d’experts politologues sur les chaines d’info pendant deux jours, certains se montrant indignés et d’autres qu’on le soit.
Sans surprise, Charles Verrault reçut un carton d’invitation auquel il répondit aussitôt positivement. C’était bon pour ses affaires et encore une occasion de présenter ses deux ainées. S’il ne se faisait guère d’illusion, sa femme rêvait qu’elles épousent des princes, charmants ou pas, pourvu qu’ils soient riches. Le soir venu, ils abandonnèrent donc Cendrilla, une fois de plus, à sa solitude dans la maison, toujours et toujours tristement confinée depuis sa naissance, avec pour seule distraction possible un minable programme télé.
C’est alors que sa marraine, qui habitait à proximité et informée de son infortune, vint lui rendre visite pour essayer de la consoler et lui tenir un peu compagnie.
« J’en ai marre de ne jamais pouvoir sortir. Tu m’as offert de jolies robes et de belles chaussures à mes anniversaires, mais je ne peux jamais les porter. À quoi servent-elles si ce n’est à faire les repas des mites dans un placard ? Tu te rends compte, marraine, qu’à mon âge (non ! Par galanterie – un concept certes démodé, mais auquel je tiens – je ne vous le donnerai pas. Disons simplement qu’elle n’avait pas encore 25 ans), je ne connais toujours pas le loup ! Dans le jardin, j’ai beau appeler « Loup y est-tu ? », mon vœu n’est jamais exaucé.
– Là, tu t’égares, Cendrilla, le loup c’est dans une autre histoire qui n’a rien à voir !
– Oui, je sais avec des petits cochons.
– C’est ça.
– Justement, j’aimerais bien en connaître un aussi ! »
La marraine sentit qu’elle devait faire quelque chose pour sa filleule, trop triste et désespérée. Alors, avec ses doigts de fée et une machine à coudre à ordinateur assisté, elle lui fabriqua un magnifique masque brodé de fils d’argent tenu par des cordons en fil de verre. Il était autant masque de carnaval que de protection, car il couvrait le visage des yeux au menton. Pendant ce temps, Cendrilla, après une rapide douche (eh oui, monsieur Perrault, il faut y penser aussi avant d’aller au bal !) se choisit dans sa penderie une sublime robe blanche cintrée et vertigineusement décolletée ainsi que de beaux escarpins argentés et évidemment n’ayant jamais servi. Pas des pantoufles comme pour Cendrillon (des pantoufles pour sortir !) ni en vair ni en verre, comme le comprennent les enfants, beaucoup trop fragiles pour danser, une absurdité ! Un autre petit détail également occulté par le conteur : le parfum ! Heureusement, la marraine de mon histoire avait dans son sac un échantillon de « léger désir » de chez Christian Fior , jeune et charmeur; comme par hasard, exactement ce qu’il fallait pour la circonstance et la personne.
« Voilà, dit la marraine, tu peux maintenant aller au bal du prince saoudien et t’y amuser. Mais attention, il te faut absolument rentrer avant minuit sinon les cordons en filament d’or de ton masque se casseront, celui-ci tombera et le charme sera rompu. » Sur ce, elle appela un Uber (oui, c’était une marraine très moderne) pour l’emmener et lui recommanda d’être devant la résidence saoudienne un peu avant l’heure fatidique pour la ramener, lui payant d’avance les deux courses.
Pendant que Cendrilla, aux anges, montait dans la voiture après lui avoir fait de gros bisous, (Oui ! Je sais, il ne faut pas, mais vous la voyez donner un coup de coude pour remercier ?) la marraine insista encore : « Amuse-toi bien, ma filleule chérie, mais surtout, surtout, n’oublie pas de rentrer avant minuit. » Elle promit, évidemment et de bonne foi, mais vous savez bien ce que peut valoir une telle promesse de la part d’une jeune fille qui s’en va danser ! Attention, cette remarque ne se veut absolument pas sexiste, il en serait de même d’un garçon, surtout s’il parvient à « emballer » pendant la soirée !
Le chauffeur, quant à lui, trouva sa passagère très belle et passa plus de temps à regarder dans le rétroviseur intérieur que devant lui ! Je crois même qu’il fit un léger détour pour prolonger ce petit plaisir visuel, mais la course étant déjà payée, qui le lui reprocherait ?
À peine Cendrilla était-elle arrivée dans la résidence princière qu’Abdada la repéra, l’invita à danser, et ne la quitta plus de toute la soirée, au grand dam de beaucoup de jeunes femmes envieuses, dont les deux sœurs qui ne pouvaient la reconnaître dans cette tenue et sous ce masque.
La suite, vous la connaissez, pensez-vous : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Eh bien ! vous vous trompez, sinon je ne vous la raconterais pas ! Nous ne sommes plus tout à fait dans un conte pour enfants ni dans un monde de bisounours. Certes Cendrilla ne vit pas minuit arriver tant le temps passa vite – pour une première sortie, c’était une sacrée soirée ! – et la catastrophe annoncée était inévitable. Cependant, chance extraordinaire, (après tout, peut-être pas tant que ça puisque nous sommes dans un conte) il se trouva que le père d’Abdada, Mohamed Ben Abdelduriz, qui faisait toujours tout en grand, avait prévu un magnifique feu d’artifice pour marquer l’anniversaire de son fils unique, et donc, pile aux douze coups, alors que le masque de Cendrilla tombait à terre, les cordons en verre brisés, toutes les lumières s’éteignirent. Elle eut juste le temps de se sauver sans ramasser la parure et de rejoindre à toutes jambes, le visage cette fois découvert, le Uber qui l’attendait scrupuleusement et peut-être en fantasmant légèrement. Mais, en la voyant monter, le chauffeur eut un haut-le-cœur. Était-ce possible ? Ce n’était plus du tout la même jeune fille ! Certes sa silhouette était toujours aussi splendide, mais…
Bien entendu, la fête terminée, le prince voulut retrouver la belle dont il ne connaissait pas le minois, mais dont il avait serré si fort le corps contre lui qu’il avait l’impression de pouvoir en faire de mémoire un moulage. Il n’avait pour début de piste de recherche que ce masque brodé trouvé à terre et mobilisa toute son ambassade à la recherche de sa propriétaire. Pour faire plaisir à Mohamed, Christophe Mancpadair, avec l’accord officieux de son président, justement en pleine négociation de vente d’avions avec l’Arabie Saoudite, (d’ailleurs simultanément avec l’Iran, son ennemi juré, mais qu’importe ! Business is business.) demanda aux services secrets français de se mettre également en quête de cette mystérieuse enfant.
Il fut même publié un avis de recherche dans la presse locale avec la photo de ce masque exceptionnel dont aucun fabricant n’osa cependant se glorifier de l’avoir fabriqué. Le père de Cendrilla lisait bien Nice-Matin, mais pas ses filles et comment aurait-il pu se douter un instant que la propriétaire recherchée était justement sa benjamine, qui, je vous le rappelle, ne sortait jamais de leur propriété ? Comme vous vous en doutez, tous ces efforts furent donc improductifs.
Abdada, pas habitué à ne pas obtenir ce qu’il voulait, commencera par piquer une colère et faire exécuter son majordome pour avoir laissé la jeune fille s’en aller sans son accord, puis ainsi soulagé, se consolera dans les bras des femmes de son harem. Notre pauvre Cendrilla pleurera des jours et des jours. Non seulement elle n’épouserait jamais un prince charmant et resterait célibataire toute sa vie, mais encore elle avait maintenant la certitude que les émois de son corps ne trouveraient jamais un homme pour les apaiser.
C’est que, si celui-ci était d’une beauté à damner tout homme normalement constitué, voire une femme, malheureusement son visage était d’une laideur effrayante. Suite à une malformation faciale de naissance, appelée syndrome de Treacher-Collins, il était affreusement déformé et insoutenable au regard. Des paupières supérieures tombantes et les inférieures dépourvues de cils, des pommettes très plates, un menton à peine développé, voilà ce que le chauffeur d’Uber avait découvert avec effarement, vision transformant vite son rêve érotique en cauchemar.
Voilà aussi pourquoi ses parents avaient voulu la cacher, on ne sait si c’était par honte ou pour lui éviter des désillusions comme ils le prétendirent. Au bout de quelque temps, la résignation ayant fait son travail, Cendrilla décidera de donner son amour à Jésus dans un couvent de la région, lui ne regardant que la beauté de l’âme. Il s’est dit cependant que la mère supérieure imposa à la jeune sœur de porter un masque en toile de jute pour les offices. Mais quand j’ai voulu interroger l’archiviste à ce sujet, il m’a été répondu « affaire classée »
Fin
*Cendrilla et non Cendrillon, un prénom trop ambigu (on dit un baron et une baronne, un patron et une patronne, Simon et Simone) pouvant laisser penser à une possible homosexualité. D’ailleurs, ce choix correspond peut-être aussi à une bisexualité inavouée de Charles qui n’aurait découvert le plaisir des femmes qu’à l’âge de 44 ans en épousant une jeunette de 19 ans. S’il rattrapa ensuite son retard en lui faisant 4 enfants, il est vrai également qu’à son époque, la recette pour ne pas en faire était encore bien mal connue et que ces naissances ont donc pu être autant un signe de maladresse que d’un désir paternel. Bien entendu, je suppute effrontément et avec un mauvais esprit assumé ! Totale Fake news trumpiste.
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